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Haïti, Dieu et le mal1
Grandes questions
21 janvier 2010

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par Jacques Gauthier
Écrivain et animateur de l'émission Le Jour du Seigneur à Radio Canada

L'être humain est un « roseau pensant » qui cherche du sens dans ce qu'il vit, d'où sa grandeur et sa fragilité, nous rappelle Pascal. Or, les catastrophes naturelles nous interpellent parce que ça touche des gens innocents, dont les enfants. Nous nous tournons alors vers notre cœur, qui lui aussi a ses raisons. Ce qui donne ce bel élan de générosité et de solidarité envers Haïti, comme ce fut aussi le cas après le tsunami de 2004. S'il faut parler de Dieu, c'est dans cet élan de don et de vie qu'il faut le voir.

La calamité draine avec elle des « pourquoi » qui touchent aux questions de Dieu et du Diable, du bien et du mal, de la souffrance des innocents. Certains « croyants » vont affirmer que c'est une punition de Dieu, d'autres que le Diable s'en est mêlé, comme le télévangéliste Pat Robertson qui déclare sans pudeur que les esclaves haïtiens ayant conclu jadis un pacte avec le Diable, le peuple en paye le prix aujourd'hui. De leur côté, les « incroyants » en rajoutent : « Vous voyez bien que Dieu n'existe pas. Comment un être parfaitement bon peut-il laisser faire cela »?

La question du mal

Ce n'est pas avec de telles déclarations qu'on allégera la douleur du peuple haïtien. Mieux vaut garder un silence respectueux devant le mystère qui nous dépasse au lieu de chercher un responsable ou de faire payer quelqu'un, serait-ce Dieu ou le Diable. C'est donc avec humilité que j'écris ces mots, proposant une attitude de douceur et de retenue. Cette compassion manque trop souvent aux intégristes religieux comme aux athées militants. Qui sommes-nous, par exemple, pour regarder de haut ces fidèles de Port-au-Prince qui célèbrent l'Eucharistie dans leur cathédrale en ruines? Les chants de leurs ancêtres sont parfois tout ce qui leur reste. Mieux vaut prier que piller, disait une journaliste. Cette foi en un Dieu qui est élan de vie vers la vie peut les aider à se tenir dans la vie.

Si leur foi en Dieu peut être assez vivante pour tirer du bien dans ce qui est mal, cela ne veut pas dire que le mal peut être un bien. Dieu ne se sert pas du mal à des fins pédagogiques, car le mal ne serait plus mal et Dieu en serait indirectement l'instigateur. Non, le mal est mal, Dieu est Dieu, et nous avons le droit de nous révolter devant le mal, de ne pas nous résigner pour que la justice triomphe, comme l'a si bien montré Albert Camus. C'est la vie qui est plus forte, non le mal.

Le bien, c'est ce que nous faisons pour Haïti; le mal, c'est ce que nous refusons de faire. Saint Thomas d'Aquin définissait avec raison le mal comme l'absence de bien. Le mal n'existe pas en lui-même, car il affecte ce qui existe déjà, le bien. Cette question du mal va tarauder bien des artistes, comme Eugnène Ionesco, qui se décrivait comme un « athée croyant ». Car pour l'auteur de La cantatrice chauve, si le mal existe, c'est que le bien existe aussi, donc Dieu, même si plusieurs l'accusent de non-assistance à l'humanité en danger.

La force de l'espérance

Et si le silence de Dieu nous poussait à agir. S'il laissait la place à notre responsabilité pour que se lèvent des forces de vie qui n'auraient pas vu le jour autrement. Pour les chrétiens, la discrétion du Dieu de la vie devant le mal est le signe qu'il nous veut autonomes, responsables, qu'il désire que nous réagissions avec encore plus de compassion. Il ne peut pas enlever notre liberté, car il nous aime. C'est peut-être là le drame, notre liberté, disait Bernanos.

Haïti sera en construction pour longtemps, c'est aux gouvernements de mettre la main à la pâte. Un jour, l'abbé Pierre lança cet appel à la radio, alors qu'une femme venait de mourir gelée en plein hiver 1954 : « Mes amis, au secours! » Son cri engendra une insurrection de bonté. Il disait que lorsqu'on a mis sa main dans la main des pauvres, on trouve la main de Dieu dans son autre main. Ce Dieu de Jésus a cassé l'image d'un Jupiter omnipotent dans son Olympe en choisissant la fragilité de l'amour, de la crèche au Calvaire.

Nous n'avons pas à tout accepter, mais à aimer, parfois avec colère, comme le Christ qui a chassé les marchands du Temple. On comprend mieux ce mot de Camus adressé à des croyants lors d'une conférence : « Je partage avec vous la même horreur du mal. Mais je ne partage pas votre espérance et je continue de lutter contre cet univers où des enfants souffrent et meurent. »

Ma foi en l'Incarnation du Christ me dit que le seul lieu où Dieu se tient est là où l'homme vit et meurt. Il ne se tient pas en haut, mais en bas, sous les décombres du tremblement de terre, avec l'enfant qui souffre. Dieu n'est pas venu pour supprimer la souffrance, ni même l'expliquer, écrivait Claudel, mais il est venu la remplir de sa présence dans le Christ.

Que dire devant le peuple haïtien qui souffre? Qu'on l'aime et qu'on a confiance en lui, malgré des siècles d'injustice. Que faire devant sa douleur, immense comme le cœur? Qu'il n'est pas seul et qu'il peut renaître de ses cendres.

[1] Article publié le 19 janvier 2010 dans le Cyberpresse du Soleil et le 20 janvier 2010 dans Le Droit. Il est reproduit ici avec l’autorisation de l’auteur.


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