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Tout faire par amour, rien par force
Récits de vie
20 septembre 2009

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par Laurie Movan-Houle

Bonjour, Bonjour,
Et oui, pas de nouvelle, bonnes nouvelles! J’étais partie au village, dans l’intérieur du pays comme ils disent. Je suis encore en vie, encore plus en vie. Voici ma « junglerie » de mots et d’émotions sortant fraîchement de mon cœur.

Avant-propos

Comme avant-propos, je vous partage un passage du courriel que j’ai envoyé à ma famille dès que je suis revenue à Bandundu. C’était peut-être le 10 avril.

« Bonjour Yaya Elise, Papa, Maman, Maryse,
Ce que je veux vous dire pour l'instant c'est que je vais bien. Je suis revenue hier du village, cette fois-ci, à 3 sur le moto-cross.

Ce fut un autre mois extraordinaire avec plein de nouvelles expériences et connaissances. J'étais entourée de gens qui me faisaient confiance, qui acceptaient de me montrer leur travail et leurs tâches quotidiennes comme la préparation de la nourriture et les travaux aux champs ou au jardin. C'est comme si j'apprenais à être une “Mama africaine” et vous ne pouvez pas savoir à quel point ça, ça c'est ce que j'aime.

Au dispensaire aussi c'était merveilleux. Une atmosphère complètement différente de celui que je connaissais de Bandundu, à l'hôpital. De beaux accouchements qui se font dans le calme. Wow! Rien à voir avec les cas débiles que nous recevons à l'hôpital de référence. 3 infirmiers seulement y travaillaient et ils m'y ont tellement bien intégrée.

Mes chers vous, je continue de réaliser mon rêve... celui de découvrir la culture congolaise. Je suis toujours confrontée, mon quotidien c'est de baigner dans la différence, je passe par toutes sortes d'émotions. Découvrir et vivre dans une autre culture c'est plus difficile que ce que je pensais... mais tellement encore plus enrichissant aussi. Accepter les autres tels qu'ils sont, aimer même celui qui a un point de vue complètement contradictoire à ses propres valeurs fondamentales, avoir de la compassion envers l’autre, mais non de la pitié, ce sont des choses que je me suis déjà fait dire plusieurs fois ou que j’ai lues, maintenant, j’essaie de les mettre en pratique. »

[La suite à la toute fin...]

Mise en contexte

Je vis dans un petit village, mais pas si petit que ça, où on dirait que les petites maisons y ont été déposées dans une plantation de bananiers. La nature prime sur tout. La vie des gens : c’est les champs, l’agriculture. Il y a une école primaire et une secondaire, une église turquoise, un couvent de sœurs, un petit centre de santé appartenant à l’État et un autre appartenant aux sœurs. Il n’y a pas d’électricité ni d’eau courante. [Pause] Je répète : il n’y a pas d’électricité ni d’eau courante… (on entend souvent ça non? « un village où il n’y a ni électricité, ni eau courante ») Mais est-ce qu’on peut réellement comprendre tout ce que ça implique ici? Je vous défends de comparer à un quelconque chalet en Mauricie qui n’a peut-être pas ces 2 ressources non plus, mais où l’on va seulement quelques jours (pour se divertir d’ailleurs) avec notre glacière bien remplie, nos plus grosses lampes de poche et le poêle à propane!!!  Non, ici, ça implique entre autres d’aller à la source matin et soir, très loin. Et si ce n’était que ça…

Moi, je vis chez les sœurs. Elles sont 5, toutes très gentilles. Ça me fait du bien de me retrouver dans un milieu féminin après 4 mois avec les abbés. Puis, elles, elles vivent un peu plus la vraie vie congolaise puisqu’elles vont aussi aux champs, préparent leur nourriture, et font une tonne d’activités pour trouver leur argent pour pouvoir vivre, comparativement aux abbés qui sont pris en charge par les chrétiens. Ça me permet vraiment de mieux comprendre la vie des gens d’ici et de l’expérimenter aussi. Je suis bien et contente d’être parmi elles. Je prends leur rythme dans leurs heures de prières, de travail, de sieste, de récréation et de repas bien sûr. Tout ça, librement, sans qu’elles ne me l’aient imposé. J’apprécie avoir une certaine routine. Ces femmes m’impressionnent parce qu’elles ont choisi d’être entièrement au service du Seigneur et font tout pour être à l’image de ce qu’il attend d’elles. Bien que ce ne soit pas mon choix, plus nous cheminons ensemble, plus nous nous apercevons qu’au fond, on veut toutes la même chose : faire le bien autour de soi, unir les gens, aider son prochain, être au service des pauvres. Le « je-ne-sais-quoi » ou le « je-sais-trop-quoi » (différences de vocations, de cultures, d’habillement, de façons de prier, parler, manger, etc.) qui nous distançait les premiers jours, s’efface de plus en plus et cède la place à un bel amour et respect qui nous unit. Ce qui me fait réellement plaisir, c’est la confiance qu’elle m’accorde.

Nous voici maintenant dans la saison des pamplemousses, oranges, mandarines, citrons. Party d’agrumes à volonté! « Jonglerie d’agrumes » dans mes mains, dans mon ventre et dans mon sourire. Je vous jure que j’en profite pour moi, pour vous, et pour tous les fous! La vie est tellement bien faite que cette saison des agrumes arrive pile au moment de l’année où il fait le plus chaud. Il fait CHAUD!!! « Ntangu ngolo » Il ne pleut presque plus alors qu’habituellement c’est la pluie qui nous apporte une petite fraîcheur qui nous permet de reprendre notre souffle.

Misay, c’est un petit paradis vert. C’est calme, c’est beau, c’est bon, c’est naturel. Il n’y a pas non plus de téléphone et seulement une moto qui vient de l’extérieur et qui passe de temps en temps. Presque pas de vélo non plus. Ça fait qu’on doit toujours envoyer un enfant faire un message. Exemple : « va dire à papa Ngay, voisin de la sœur de mamanBlaise, celle qui habite à côté du gros manguier en arrière de la parcelle du Papa Directeur, que sa troisième aurait besoin de la houe ». Lorsqu’il y a des rues, c’est en fait de petits sentiers ou alors il n’y en a pas et on circule comme ça, à travers les petites maisons et les bananes. Hihi! Chu tu pas à la bonne place?

Ici, la langue maternelle est le kiyansi. C’est vraiment comme ce que vous vous imaginez d’un dialecte d’une tribu africaine. C’est beau de les entendre et c’est drôle. Ceux qui arrivent du village voisin, eux, parlent le bambala. Mais habituellement, les gens parlent en kikongo, sauf ceux qui, pour une raison ou pour une autre, préfèrent parler le lingala de Kinshasa. À l’école secondaire, les enseignements sont en français alors les « intellectuels » aiment bien montrer leur niveau de scolarité et parler français. Puis, il y a aussi l’anglais comme cours de langue seconde et en cours privé aussi. En tout cas vive la communication et toutes leurs traditions transmises oralement! Et vive tous les messages que l’on reçoit qui ont été interprétés ou imaginés et, certainement, toujours un peu transformés!

Tous les matins, je me rends au minuscule dispensaire avec la Sr Angélique. Les murs sont jaunes et verts et les 2 lits, rouges. La nouvelle lumière qui y entre est de toute beauté. La vieille accoucheuse MamaTiti est là puisqu’elle y passe toutes ses nuits. Elle, elle n’a pas étudié, elle a appris d’une autre matrone qui, elle, avait appris d’une autre… C’est fascinant de la voir diriger un accouchement. Ses gestes sont rapides, efficaces et instinctifs! Tranquillement, une à une, des mamans arrivent avec leur bébé malade accroché au dos. Je donne les médicaments aux bébés et aux enfants. Ici, on vend les pilules à l’unité et le sirop à la gorgée! J’aime ça égrainer les pilules entre 2 cuillères, mélanger avec tel ou tel sirop. Ça me rappelle ma maman qui me donnait les tylénols égrainées dans du sirop d’érable quand j’étais petite. À chaque fois, j’ai l’impression de préparer une petite potion magique. Je fais aussi les pansements. Il y a beaucoup d’enfants qui ont des genres d’abcès qui apparaissent tout seuls et qui finissent par faire de gros bobos tout infectés. C’est moi qui m’en occupe. Mais, le mot d’ordre c’est « priorité aux accouchements » et ça, je pense que tout le village le sait. Peu importe je suis où, si une femme accouche, quelqu’un vient m’avertir. « Va dire à Laurie qui sarcle dans le champ des sœurs en arrière des pamplemoussiers qu’une femme va bientôt accoucher! »

Accouchement dans le noir annoncé

Il y a une femme en travail au centre de santé. Moi, je suis au couvent et je bois de l’eau chaude avec plein de miel dedans et du citron pour me donner de l’énergie en vue de cette naissance et je vends aussi les chenilles aux petits en attendant que l’on m’appelle. C’est la vieille maman Claudine un peu toc-toc (handicapée fo-folle) qui vient m’avertir. Comme chaque fois, je fige une seconde en remontant un peu mes épaules, j’ouvre grand mes yeux et j’ai le sourire qui apparaît sur mon visage en même temps qu’une grande montée d’adrénaline. Je pars à courir jusqu’au dispensaire. Ha cette course! Elle est significative et si excitante. Je cours en remontant mon pagne d’une main pour me permettre d’aller plus vite, j’entends et je sens son tissu épais qui claque sur mes jambes, le sable chaud entre ma sandale et mon pied, la folle crie de joie en avant de moi. Je cours pour aller assister à la naissance d’un nouvel être, je cours pour aller apprendre le métier qui me passionne, je cours parce que je suis tellement excitée que je ne saurais me contenter de marcher. 3 petites minutes plus tard, j’arrive.

Il est 18 h, c’est presque la nuit, la salle d’accouchement est très sombre. (On n’a pas encore allumé la lumière qui fonctionne à l’énergie solaire parce qu’on doit l’économiser le plus possible.) Je trouve la femme couchée par terre sur le ciment, entourée de sang, avec l’infirmier YaRonsard à ses côtés en petit bonhomme. Il tient les pieds de l’enfant et sa tête est encore à l’intérieur. Je trouve ça tellement beau! Ça pourrait peut-être être une scène épouvantable dans un film, mais, à mes yeux, c’est de toute beauté. C’est silence, c’est calme, nous ne sommes que 2 avec la femme, c’est la vie telle qu’elle se présente. Cette femme est en train de mettre au monde son 6e enfant.

Une grande fierté m’envahit puisque l’enfant naît par le siège et que, 45 minutes plus tôt, lorsque j’avais fait le toucher vaginal, accompagnée de Ya Ronsard et la Sr Angélique, j’avais dit : « Ho! Mais je ne crois pas que ce soit la tête ce que je sens! »  Ya Ronsard m’avait répondu avec tellement de certitude : « Si, si, c’est la tête, c’est une bonne présentation céphalique » que j’avais tout de suite effacé cette idée et repris ma place de simple stagiaire en apprentissage. Même la Sr l’avait confirmé! Mais bon, ma toute petite voix de modestie me rappelle que l’infirmier n’a pas mangé depuis 6 h le matin et qu’il a travaillé comme un fou toute la journée…

(En passant, c’est tellement spécial d’apprendre un métier aussi « important », comportant autant de responsabilités et de risques, « sur le tas ». C’est ce que j'appelle être autodidacte et expérimenter à 100 %. C’est quand je le vis, je le sens, je le vois que je le comprends, sinon, il y a rarement quelqu’un qui me le dit ou me l’explique.)

Bref, il y a une femme à mes pieds en train d’accoucher. J’entends du bruit dans la pièce voisine alors je crie : « Nani? » (C’est qui?). Je m’aperçois à l’instant que ce sont 2 chèvres qui sont entrées. Je n’ai qu’à crier « Basika » et elles sortent. Comment ne pas sourire d’être en train d’apprendre l’accouchement lorsque l’enfant se présente par le siège, en Afrique, avec des noirs dans le noir en étant interrompue par l’entrée de chèvres dans la maternité à qui je parle en kikongo. Finalement, encore une merveilleuse fois, tout s’est bien passé. J’ai fait la révision utérine et la couche en pagne à la femme.

Les arachides

Comment parler de Misay sans parler des arachides? Nguba, nguba kaka (arachides toujours). Le mot nguba sort de la bouche de tous. Tout le monde a son champ d’arachides. Même les infirmiers et les enseignants doivent aller aux champs. On les sème, les trie, les sarcle, les bine, les dégaine, on prie pour qu’il pleuve pour qu’elle pousse, les récolte, les remercie, les béni, les fait sécher au soleil, les pile, les broie, les fait bouillir ou rôtir, les décortique, les vend, les échange, les offre et, bien entendu, ON LES MANGE et les apprécie!!! Je parle avec un papa qui est en train de décortiquer des arachides de la saison précédente, il me dit qu’il est fatigué à cause de son champ d’arachide en cours. Qu’est-ce qui t’inquiète maman? Il ne pleut pas et elle a peur que ses nguba ne germent pas. Mais pourquoi tu t’arrêtes comme ça pendant qu’on marche? « Ha! j’avais une arachide de prise dans ma sandale! » Je suis contente parce que j’ai moi aussi vécu cette ampleur des nguba au maximum. J’ai moi aussi déblayé un champ en vue de les y semer, je les ai semées une à une, avec la houe dans la main droite et la poignée d’arachides dans la gauche, puis j’ai tant prié pour qu’il pleuve et qu’on n’ait pas fait tout ça pour rien, etc., etc.

Est-ce que je me répète? Je vous ai déjà parlé des arachides non? De toute façon, l’Afrique c’est aussi ça; se faire répéter 1000 fois la même histoire. Mais en voici une nouvelle…

Le coq, le bœuf, puis la femme

Hier, j’assistais PapaWata à la préparation de A à Z du coq *** (passage de mon journal) : « Je suis revenue tenant le coq qu’on nous avait offert par les pattes, la tête en bas (comme je tiens parfois les bébés naissants d’ailleurs). Nous marchions lentement dans le chemin de sable entouré de grands palmiers. Le soleil se couchait derrière nous, nos grandes ombres nous précédaient » Donc, de son égorgement jusque dans l’assiette en apprenant bien comment on le coupe et tout ça. Ce matin, c’est à 6 h, plutôt que d’aller à la messe, que j’avais rendez-vous avec les hommes pour assister à l’abattement du bœuf du village. Ils avaient d’abord fait le tour des maisons pour demander qui voulait combien de kilos et ils feront la répartition après. Je suis arrivée alors qu’ils coupaient le dernier morceau à la machette et à la hache, par terre, sur un tapis de feuilles de palmier.

Puis, après le déjeuner, on m’apprend qu’il y a un docteur de passage (sinon, habituellement, il n’y a que des infirmiers à Misay) et qu’il fera 6 opérations dans la journée et que je suis invitée à y assister. C’est dans la pièce qui sert ordinairement et de bureau du personnel, et de salle de consultations et de soins donnés aux malades et de pièce de rangement, qu’on a improvisé la salle d’opération pour aujourd’hui… on y a mis simplement une « table d’opération ». On étale les pinces et le bistouri (qu’on dit stérilisés?) et la première femme est « callée ». Elle se déshabille, se couche directement toute nue sur le métal de la table, devant eux, devant moi, la blanche. Elle paraît avoir 23 ans, mais on m’apprend qu’elle est mariée depuis 17 ans. Elle n’a pas encore réussi à tomber enceinte alors le médecin trouve que c’est une raison valable pour l’ouvrir et voir un peu qu’est-ce qui se passe là-dedans qui ne va pas. Ainsi, c’est tout à son avantage puisqu’il se fera un peu d’argent (l’État ne la paye pas suffisamment, bien qu’il travaille 7 jours sur 7, 365 jours par année). Aussi, il faut mentionner que c’est le mari de la femme qui a probablement tout arrangé ça, sans lui demander son avis, parce que c’est une grande honte pour eux de ne pas avoir d’enfants après 17 ans de mariage. Et le problème est certainement chez sa femme, personne ne pourrait penser le contraire!

Donc, tiguidou, c’est parti, on l’ouvre même si elle bouge encore et que l’anesthésie ne fait pas encore totalement effet. Il fait sombre, on a mis un pagne devant la seule petite fenêtre pour empêcher la poussière d’entrer et les passants de regarder. Il sort les intestins et va voir ce qui cloche en dessous, vers l’utérus et ses annexes. Il coupe la trompe (c’est la première chose qu’il trouve on dirait) puis la débouche supposément en envoyant de l’air dedans avec une seringue. Malheureusement, il ne l’a jamais « reconnectée ». Je ne sais pas si elle est supposée aller se repositionner seule ou s’il pense qu’avec les pouvoirs de fétiche ça va fertiliser la femme, mais, peu importe, il continue à explorer plus loin. Il coupe quelques tissus sur le passage […]

Mais là, moi je suis témoin de tout ça, j’ai les sourcils bien froncés, les bras croisés et je vous jure que je doute. Inévitablement, j’ai les images de décortication du coq et du bœuf qui me reviennent à l’esprit. La façon que cet homme est en train de manipuler ces organes féminins a trop de ressemblance avec la préparation de la viande. Suis-je dans un abattoir, une boucherie où l’on vend de la bonne charcuterie ou une salle d’opération? Finalement, cherchant un peu plus loin, ne trouvant pas l’autre trompe qu’il cherchait, il s’exclame : « L’autre est disparue, je referme! » Puis, continue : « Ha! Ces femmes! Encore un problème de couple plutôt qu’un problème physiologique! » Je pose beaucoup de questions et il me répond avec tellement d’assurance que je ne sais plus trop quoi penser. Je manque de connaissances.

Pendant qu’on trempe les outils dans une solution stérilisante, on parle du mariage et de l’égalité entre l’homme et la femme ici, comparativement à l’« Europe » (rares sont ceux qui font la différence entre le Canada et l’Europe). Évidemment, contradictions de valeurs culturelles se présentent encore une fois. Son point de vue est intéressant à savoir, après tout, je suis carrément ici pour ça, mais tellement difficile à accepter. C’est tout un exercice de seulement respecter son point de vue, sans penser que le mien est meilleur. En fait, je n’y arrive malheureusement pas. Quand toute ma vie je me suis fait dire que la femme devrait avoir les mêmes droits que l’homme, que ce que j’ai vécu et vu dans mon entourage depuis que je suis toute petite c’est l’égalité entre les deux sexes et, si non, la revendication de celle-ci, seigneur que c’est difficile de respecter celui qui est devant moi et qui parle de sa femme comme d’un bien de plus qui lui appartient. Après tout, « il l’a acheté cette femme, il a donné la dote à sa famille pour pouvoir la marier ». Je conclus cette discussion plutôt étouffante en lui affirmant une dernière fois que, dans tous les cas, moi j’ose croire que l’égalité entre les deux sexes est possible et que, pour moi, cette femme qui est couchée nue à un mètre de nous est aussi importante que lui qui vient de l’opérer.

Il vient de dire que les instruments doivent tremper 45 minutes dans la super solution stérilisante et voilà que 15 minutes plus tard il est reparti pour la deuxième. 1, 2, 3, change de gants et c’est reparti mon kiki. Quand je lui demande c’est quoi le prochain cas, il me répond n’importe quoi et son assistant le corrige en lui apprenant du même coup ce qui s’apprête à faire. Cette fois, la femme avait mal au ventre alors on va lui enlever l’appendice et les kystes ovariens qu’on suppose. Il y a énormément de femmes qui subissent cette opération, dès que les femmes se plaignent de douleur au ventre c’est ce qu’on fait! Ça me rappelle qu’à une certaine époque au Québec aussi il y avait eu cette genre de mode d’enlever l’appendice à plein de monde hein? […]  Cette 2e opération est remplie autant de doutes, de questionnements et de manœuvres non justifiées que la première. Je reçois un jet de jus d’ovaire dans le cou. C’est chaud et un peu collant du « jus ovarien »!

Le docteur parle beaucoup, sans arrêt. Et là, le voilà qui commence à affirmer plein de choses fausses sur nous, les Occidentaux, plein de préjugés qui me blessent. Bla, bla, bla… je dois avoir les yeux fixés sur ce qui ce passe dans ce ventre parce que c’est moi qui tiens une lampe de poche qui l’aide à voir… bla, bli, bla… il y a tant de choses qui se mélangent dans ma tête… bla, bla… poulet… la, li… trompes de Fallope, machette… bla, bla… il continue de parler tout seul… la, li, la… je constate qu’il n’y a ni kystes, ni quoi que ce soit d’anormal à l’appendice… li, lo, lebly… je repense à toutes ces femmes que j’ai rencontrées, qui m’ont dit qu’elles s’étaient fait opérer pour appendice et kystes ovariens, bla bla… je me sens de moins en moins bien, j’ai chaud, c’est comme si j’ai trop d’émotions dans mon cœur et ma tête n’est pas assez grande pour recevoir tous ces questionnements, comparaisons, accusations et contradictions… bla, bla, poulet, bœuf, femme, poulet, bœuf, femme… qu’est-ce qu’on mange ce midi? BON, JE DOIS SORTIR!

Mon égo, beaucoup trop grand d’ailleurs, ne veut absolument pas que le docteur s’aperçoive que je vais m’évanouir d’une seconde à l’autre. 30 minutes plus tôt, alors qu’il m’avait proposé de m’assoir, j’avais refusé et il m’avait répondu, toujours sur son ton supérieur et de défi : « Alors, combien de temps tu peux rester debout? » Et moi, embarquant bêtement et inutilement dans son jeu, j’avais rétorqué : « Aussi longtemps que vous! » Pouhahha! Ben quoi, une orgueilleuse comme moi devient vraiment écœurée que les gens pensent que, parce qu’elle est blanche, elle ne peut pas rester debout, marcher 5 minutes au soleil, balayer, toucher de l’eau chaude sans se brûler, tenir un couteau sans se couper, etc., etc.  Bref, j’ai donné la lampe à l’infirmier et j’ai dit, interrompant les bla, bli, bla du docteur, que j’avais faim et que je devais aller manger une orange. Je suis sorti tellement vite, me retrouvant devant tous ces malades qui attendaient leur tour devant la porte. Je n’entendais plus rien, je voyais des picots noirs, j’étais toute en sueur, mais, je ne sais par quel miracle, je me suis rendue jusqu’au couvent sans m’évanouir.

Finalement, une heure plus tard, je mangeais un bon utérus de femme pour dîner, oups, pardon, un poumon de bœuf plutôt. À moins que c’était une cuisse de poulet? Bon appétit!

Mais là, après vous avoir raconté cette grande histoire, je veux revenir au principe d’égalité. En tout cas, en voyant tout ce décorticage d’organes autant animal qu’humain, je n’ai qu’une seule envie : continuer de croire que nous sommes tous égaux. Les animaux comme les humains, les hommes comme les femmes. En même temps, je sais que je viens de ridiculiser un peu ce docteur, et peut-être même le rabaisser. Je regrette. C’est difficile d’être et d’agir conséquemment à ce qu’on prône ou dénonce. C’était pour me remonter? me justifier? le dénoncer? Pour épicer mon histoire? Dans tous les cas, ce fut très intéressant, autant au point de vue anatomique que culturel, d’assister à tout ça. Ce fut beaucoup plus qu’une opération pour cette femme, j’ai aussi l’impression que le docteur et moi avons été opérés, chamboulés. Je garderai toujours moi aussi une cicatrice de cette intervention.

De tout et de rien

« Ce matin, c’était la journée des consultations prénatales au dispensaire. 43 femmes venant des villages avoisinants sont venues au centre. Elles étaient toutes plus fascinantes et colorées les unes que les autres. Tellement belles! La majorité était trop mince; le cliché de la grosse maman africaine, ce n’est pas ici que ça se trouve. Elles avaient entre 14 et 43 ans… à peu près. On doit estimer leur âge la plupart du temps, car elles n’ont aucune idée de leur année de naissance. Je me suis bien amusée à observer leurs mimiques interrogatives quand on leur demandait soit leur âge, la date de leurs dernières règles, le nom de famille du père, ou même, elles ont combien d’enfants. (Probablement que ça rend la tâche plus difficile parce qu’ils sont nombreux, oui, mais surtout parce qu’elle se demande si elle doit compter ceux qui sont morts…) Il y en a de toutes les couleurs, c’est le cas de le dire. Fille de 17 ans enceinte de son deuxième enfant, femme de 24 ans qui est enceinte pour la 4e fois en quatre ans, femme de 40 ans qui en est à sa 10e grossesse, une autre CONVAINCUE qu’elle est à terme alors qu’elle n’a que 2 mois de faits, etc., etc. »

« Le ventre d’une femme enceinte devient de plus en plus transparent à mes yeux et mes grandes mains. La confiance que j’acquiers est un beau cadeau que la vie me donne. »

« J’étais toute salle, pleine de suie. Les enfants avec qui je travaillais s’étonnaient du noir sur ma peau blanche. Moi aussi d’ailleurs. C’était une forêt vierge où on a coupé les arbres et mis le feu. Maintenant, fallait déblayer avec nos mains et des houes. On leur fait faire ça comme cours d’éducation physique. Ce cours s’appelle “travaux manuels”. Mais il n’est qu’un prétexte pour ramasser des fonds pour l’école (avec la récolte d’arachides). »

« On dirait que c’était cette belle lumière qui faisait soulever la poussière de manioc. Ça me faisait penser à la neige. »

« Je n’ai même pas fait la moitié de mon voyage, c’est vraiment un long voyage! »

« L’infirmière MamaBlaise avec qui je travaille est 2e femme de son mari. Sa voix est sûre, grave, réconfortante, pas gênante. Elle a une grosse cicatrice sur la poitrine qui lui fait mal. Elle a accouché 6 fois, mais elle a 7 enfants. Son regard est doux, mais fort, intelligent. Elle est grande, tellement belle, compréhensive, ouverte d’esprit, travaillante. Je suis contente qu’elle fasse partie de ma vie quotidienne. »

« Elle souffrait beaucoup. Encore une fois, j’ai pensé “je voudrais avoir déjà accouché pour connaître ce qu’elle est cette douleur d’accouchement”. »

« À la prière de ce soir, Sr Micheline qui fêtait son anniversaire a dit ceci : “Seigneur, je n’ai rien d’autre à t’offrir que ma vie et je te la donne toute entière. Fais ce que tu veux de moi Seigneur. Amen.” Ça m’a touché. »

« Je suis maintenant la responsable de piquer les 4 diabétiques diagnostiqués du village, matin et soir. Ça me fait rire parce que je les pique dans toutes sortes de circonstances un peu cocasses. Que je sois en train de piler à la cuisine, au jardin les mains pleines de terre, en train de dormir ou de manger, ils viennent me voir avec leur insuline et leur SEULE seringue qu’on réutilise chaque fois et je les pique. Je m’attache de plus en plus à eux. Ils ont chacun leur personnalité bien unique, leur façon de voir et de connaître leur maladie, leurs habitudes pour recevoir leurs injections. La vieille Kasangu avec seulement 3 ou 4 dents en bas à la manie de toujours vérifier comment y reste d’insuline dans le flacon en le plaçant entre ses yeux et le soleil, Papa pasteur s’assoit de travers sur le coin du bout de la chaise et a toujours une brindille dans la bouche, MaKipembe, douce, sensible et grassouillette, cache sa seringue dans son pagne et prend toujours un certain temps avant de la retrouver […] »

« Je suis allée visiter les filles de l’internat qui ont entre 14 et 22 ans.  Elles m’ont presque immédiatement demandé de leur expliquer le cycle menstruel. Ainsi, à l’improviste, assise parmi elles avec un bout de papier et un Bic, j’ai tenté de le leur expliquer. »  (Les questions qu’elles me posaient spontanément étaient désolantes à entendre. Il y a un grand manque dans l’éducation sexuelle des jeunes, c’est terrible. Je voulais aller leur expliquer comment on met le condom, on me l’a fortement déconseillé puisque c’est contre la religion catholique… Après on engueule les filles-mères comme du poisson pourri parce qu’elles sont enceintes. J’ai eu une chaude discussion avec mes chères sœurs Sœurs à ce sujet.)  « Elles ne comprennent pas lorsque j’essaie de leur expliquer que chez nous on se marie seulement par amour. Elles rouspètent : “Mais comment moi je pourrais aimer un homme s’il ne me donne rien!” ». (Ici, les filles acceptent de marier ou de coucher avec celui qui lui donne les biens matériels, les habits, la crème, etc.)

« Tsé, moi j’arrive ici toute contente parce qu’il n’y a pas de technologie, de téléphone, d’internet, de moto, d’électricité. Je m’en réjouis pendant qu’eux en souffrent et voudraient tellement y avoir accès. C’est complètement con! La blanche veut le retour aux sources et l’africain veut des REssources. Est-ce qu’il ne faudrait pas trouver un juste milieu? »

« Il y a une maman à qui on avait donné du vermox, un traitement vermifuge, qui a vomi 4 vers. »

« Lorsque je dis “Je vous salue Marie…”, à la fin, je dis souvent “Maintenant et à l’heure de notre gloire, amen” (au lieu de notre mort). C’est une belle manière de confondre les mots je trouve! »

« Puisque le monde est rond, que nous sommes tous “facilement” joignables, sur la même boule! Puisque la forme de la Terre est une sphère, je me dis que c’est un signe, un gros symbole de notre union, ou du moins, que nous sommes faits pour être unis. »

« Hier soir, après avoir sarclé, le soleil était couché, le ciel rose. Vitaline, deux filles et moi, on revenait vers le couvent avec nos houes accrochées à notre épaule. Puis, tout d’un coup, elles sont devenues tout excitées et elles ont couru vers un nid de grosses fourmis ailées. Elles étaient tellement belles à voir, elles et les fourmis. Elles étaient en “petit bonhomme africain” (***voir la définition plus bas) et mangeaient les fourmis qu’elles attrapaient au vol. La lumière rose passait au travers les grandes ailes des fourmis, c’était comme si on mangeait des petites fées. Bon, ce sont quand même de grosses fées qui bougent encore dans la bouche. Elles riaient de moi et moi je riais d’elles. Vitaline s’est même roulée dans les grandes herbes tellement elle me trouvait drôle. (Sûrement parce que je changeais de mimique 15 fois par seconde, je suis tellement pas transparente d'ailleurs! dégoût, excitation, curiosité, fascination, éclat de rire, qu’est-ce que ça goûte? Mais ça ne goûte rien, c’est magique, qu’est-ce que je suis encore en train de faire? Joie, une autre? Ha! ça BOUGE!) C’était un beau moment. J’avais aussi un gros cri-cri dans ma sacoche (faite en feuilles de bananier) que j’allais faire griller et goûter pour la première fois au retour à la maison. »  (Quand j’étais petite, j’habitais dans un village, St-Célestin, et le gros fun c’était d’aller se chercher des jujubes au dépanneur. Ici, le gros fun c’est d’aller chercher des bibittes mangeables dans les champs! Le cri-cri en question ressemble à quelque chose entre la coquerelle et la sauterelle, mais plus gros, tellement laid, brun, avec de grosses pattes, mais ça, c’est vraiment bon!)

***Définition du « petit bonhomme africain » : Position du petit bonhomme québécois, mais les jambes écartées, les mains entre les jambes qui tendent à prendre quelque chose par terre, la plupart du temps, de la nourriture. (Je pense à toi Philippe qui sait si bien le faire)

À partir d’ici, mon courriel dégénère en qualité. Je suis toute mélangée, je ne sais plus ce que je vous ai déjà dit, pourquoi je le dis, comment je dois le dire ou le redire? C’est comme plus « pitché », vous pouvez le prendre comme un bonus…

Bonus

Au couvent, il y a des fleurs violettes illuminées, elles semblaient irréelles. Je les regarde toujours en me demandant si c’est un mirage ou quoi. En revenant de Misay, j’ai choisi un courriel au hasard à lire dans ma boîte. C’était Lisandre qui voulait simplement me dire : « Tu es une jolie fleur violette ». HAAA la vie!

Tous les élèves du pays complet portent l’uniforme au primaire et secondaire; bas bleu marine et haut blanc. Mais à Fatundu, le modèle de tresse est inclus dans l’uniforme des filles! Chaque vendredi, on annonce le modèle requis pour la semaine suivante.

Le bruit de fond à Misay c’est les gens qui pilent au mortier. Au Guatemala ce sont les mamans qui tapent des mains pour faire les tortillas, à Misay c’est le toc-toc-toc des mortiers.

Lors de la saison de semence des arachides, il y a plus d’avortement vu que les femmes vont aux champs et travaillent encore plus fort qu’habituellement.

J’ai pris un mamelon (un mamelon d’homme tout court là, sans l’homme de rattaché après) dans mes mains. Il traînait sur le bord de la table! On le lui avait enlevé puisqu’il avait une masse cancéreuse. Je n’ai pas pu m’empêcher de rire malgré le contexte qui était au sérieux.

Je mangeais plusieurs fois par semaine des chenilles au village, ça remplaçait la viande. (Est-ce que je dois vous mentionner qu’elles étaient dans une sauce aux arachides?)  Puis, à chaque fois, je me disais que c’était comme si j’envoyais de la bonne compagnie à mes vers intestinaux!

Un jour que j’avais attrapé un bon coup de soleil et que j’expliquais à Filston ce que c’était, il m’a répondu tout spontanément : « Ha OK! Mais ça va partir au lavage! » Hihi!

Lorsque je suis arrivée chez les Sœurs de Misay, je leur avais emporté fièrement un beau gros pamplemousse de Bandundu comme cadeau de bonjour. Pouhaha! Plus tard, je me suis rendu compte qu’il y avait genre 8 pamplemoussiers en arrière… c’était comme si j’offrais une pomme à quelqu’un qui a un verger!

Un matin au dispensaire, alors qu’elle donnait les médicaments, MamaBlaise criait à un enfant : « Avales Innocent! Innocent, il faut que tu avales »… Innocent, c’était le nom du garçon!

Plusieurs personnes à Misay ont les traits du visage particulièrement félins, ils sont beaux.

Le texte le plus compliqué au monde, bonne chance! C’est comme un jeu d’essayer de bien le saisir... Conseil : le lire une première fois sans tenir compte des références et le relire ensuite en vous arrêtant pour aller voir ce que les références disent un peu plus bas.

C’était dimanche des Rameaux. J’ai pleuré vers 14 h1. Je n’en pouvais plus qu’on doute de mes capacités, qu’on rit de moi pour tout ce que je dis et tout ce que je fais et tout ce que je suis2. Qu’on m’observe toujours, que je ne puisse pas faire un pas sans que tout le village sache dans quelle direction je m’en vais3. Qu’on me dise et me répète toujours : « Ici on souffre hein Laurie? Vous vous êtes bien hein Laurie au Canada, mais nous ici nous souffrons beauuucoup. Nous travaillons fort, c’est dur la vie ici hein Laurie? »  Je pleurais qu’on ne comprenne jamais complètement ce que je dis et qu’on n’interprète pas correctement4. J’étais plus capable d’être blanche, d’être étrangère, d’être différente, épuisée d’essayer de prouver que ce n’est pas parce qu’on est blanc qu’on est handicapé! Le problème c’est que j’ai bien de la misère à accepter que je ne sois pas une vraie maman africaine et que je ne pourrai probablement jamais porter une grosse bassine de manioc sur ma tête. Je n’arrive pas à assumer que je ne pourrai jamais changer ni ma couleur, ni ma culture ni mes souvenirs heureux et confortables. Je ne veux pas admettre que je n’ai jamais eu peur de mourir de faim ou de ne pas avoir suffisamment d’argent pour me soigner.

Quelques expressions et citations

Pour dire qu’une femme est enceinte, on dit soit « Elle porte famille », « elle s’est fait engrossée », « elle est grosse » ou « elle est pleine ».

On dit « il a une faim de lion » plutôt que de dire une faim de loup.

La philosophie des Sœurs de Misay c’est « Tout faire par amour, rien par force ».

Une autre opération que je ne suis pas prête d'oublier : Carmen

(Ça n’a rien à voir avec l’histoire qui vient, mais j’ai envie de vous spécifier que sa mère est la sixième femme de son mari, qui lui, a au moins 25 enfants)

Une petite fille, Carmen, 9 ans, a l’abdomen très tendu et sensible. On pense évidemment que c’est une crise d’appendicite et on l’opère d’urgence. (Elle a de la chance que ça lui arrive juste au moment où le docteur est de passage.) En l’ouvrant, on constate que c’est une péritonite.

C’est le soir, il y a plein de moustiques dans la pièce, il fait chaud et, évidemment, l’éclairage est toujours médiocre. Y’a plein de pu qui coule, on sort tous ses intestins et c’est vraiment impressionnant de voir qu’ils sont aussi gros et longs malgré que c’est une toute petite fille. On trouve deux perforations, deux trous dans les intestins. C’est la fièvre typhoïde qui fait ça lorsqu’elle est à un stade avancé. C’est la « maladie des mains sales » qu’ils disent. C’est sûr que quand tu manges par terre, avec les mains, en pigeant dans les mêmes plats que tes 8 frères et sœurs, il y a des risques d’être en contact direct ou indirectement avec des excréments. Aussi [mouches qui se promènent entre tas de marde et luku = fièvre typhoïde (FT)]. Puis, la plupart du temps, lorsqu’on commence à présenter des signes de la FT, on pense que c’est la malaria alors on ne donne pas les bons médicaments alors ça se complique. Ce fut le cas de Carmen, mais aussi d’un de mes amis abbés qui a frôlé la mort en tombant dans le coma dernièrement… !

Bon, alors le docteur commence à vider le contenu des intestins par ces trous avant de les recoudre. Visuellement, en regardant sa façon de manipuler ces boyaux, on dirait qu’il nous prépare des grosses saucisses pour souper, mais, à l’entendre, ça fait le même bruit que lorsqu’on brasse du macaroni avec de la sauce tomate AYLMERS. Pi là, voilà le « punch » (en passant, je parle de macaronis, saucisses et punch pour dédramatiser un peu la chose et non pas pour minimiser son importance ou par manque de respect envers Carmen. Je suis désolée pour les cœurs sensibles. J’étale tout ça devant vous comme on me l’a aussi présenté. Ce n’est pas non plus dans le but d’impressionner la galerie…), qu’est-ce qu’on ne voit-ti pas au travers les tissus? UN VER! Un ascaris! J’ai les mains croisées sur mon cœur comme en position de prière, la bouche et les yeux grands ouverts. Ferme ta bouche, tu vas attraper des mouches! Le doc réussit à le faire sortir par l’une des perforations et là, je vous le jure que pour une fois dans ma vie je n’exagère pas, le ver mesurait entre 25 et 30 cm. Il était bien vivant, rose, comme vraiment dur et fort. (Ça, ça s’attrape soit dans l’eau ou soit en mangeant des fruits ou des légumes qui en contenaient ou contenaient des œufs… étant donné que même l’eau que les gens vont chercher à la source n’est pas propre… Carmen comme PLUUUUUsieurs autres avait ce ver dans son ventre.)  Pauvre petite fille, elle a dû avoir tellement mal.

Ça ne prend pas beaucoup de temps avant que je me rappelle que ça fait une semaine que ma Mama Sœur Angélique croit fortement que j’ai des vers. Euh… C’est ça avoir des vers!!! Maman éééé! Non, non, on me rassure, ça ne se peut pas que je sois rendu à ce niveau. Il faut vraiment une grande gymnastique mentale pour ne pas m’imaginer un ver pareil dans ma bedaine! J’ai le flash de quand j’étais petite et j’écoutais Vision mondiale et que je voyais des vers pareils au travers le ventre des « petits africains ». Sauf que maintenant, il n’est pas question de zapper parce qu’il y a des bonshommes qui jouent à l’autre poste! Il est seulement question de continuer à tenir la main de cette petite fille et d’assister au reste de cette opération qui, je vous le dis, est fait avec tellement peu de moyens. J’ai envie de comparer tout ça à un changement de chambre à air de vélo dans un garage, ça vous donne une idée?

Finalement, Carmen a été sauvée. Je l’ai laissée en très bonne voie de guérisons à Misay. Je me suis attachée à elle. Lorsque je faisais des petits travaux à l’extérieur du centre, elle m’accompagnait. Parfois, je la voyais arriver même jusqu’au couvent avec son pagne orange qui la recouvrait entièrement et son grand sourire. Après 10 jours, lorsqu’elle a enfin pu recommencer à manger ne serait-ce qu’une minuscule boule de luku, c’était la fête! Encore plus lorsqu’elle a fait caca pour la première fois, les trous avaient été bien recousus!

Suite et fin du courriel à ma famille

« L'essentiel, l'essentiel, qu'est-ce l'essentiel à vous dire? Je voudrais que vous compreniez ce que je suis en train de vivre, mais au fond, c'est tellement grand que même moi je ne le saisis pas trop. Et en même temps, c'est tellement rien, tellement simple : je vis seulement ici, parmi eux.

Probablement au mois de mai, je repartirai déjà ailleurs, à Djuma, un autre village, plus grand que le dernier, mais plus petit que Bandundu et ça me rassure. C’est une Soeur québécoise, Marie Desjardins, qui est là et qui m'accueillera.

P.-S. J’ai de la corne dans mes mains à force de travailler avec la houe, mes cheveux allongent, ma peau change, je suis parfois rose, parfois brune, toujours de plus en plus picotée. J'ai maigri un peu et ça me fait vraiment du bien, car, avant de partir à Misay, je me sentais vraiment gonflée et lourde. Ha! J’adore aussi mes pieds avec leur bronzage de sandales de Jésus. »

Mot de la fin

Je veux vraiment dire merci à ceux qui m’ont écrit. Je suis désolée de ne pas vous réécrire personnellement et ce n’est pas parce que je fais un courriel à tous que je vous mets tous dans le même panier. Chacun de vous avez une belle place dans mon cœur. Le temps que je passe à écrire ces longs courriels est déjà trop pour ma patience à être devant un ordinateur, c’est pourquoi je m’y arrête. Mais il y a toujours assez de temps pour penser à chacun de vous, vous envoyer de l’amour et prier pour vous. Merci. Continuez s.v.p., ils sont si précieux pour moi. Je vous aiiiiime!

Votre Laurie xxx

[1] Ici, on ne pleure pas. « LAURIE, IL NE FAUT PAS PLEURER ». Les larmes ne coulent jamais. Sauf si quelqu’un de trrrès proche de nous meurt, là, il faut pleurer et on met le paquet!

[2] La plupart du temps, ils rient parce qu’ils sont contents. C’est leur façon d’exprimer leur joie. Malheureusement, à mes oreilles, ça sonne trop souvent comme si on rit de moi… il y a des fois aussi où on rit réellement de moi.

[3] D’ailleurs, ça n’a pas pris 2 minutes que Gracia m’a vu pleurer et que la nouvelle s’est répandue.

[4] Pour vous donner un exemple bien concret, après cet épisode de larmes, chacun avait une version différente de pourquoi je pleurais… la plupart on pensé que c’était parce qu’une maman me regardait faire la vaisselle!!!


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